Extrait :
Ahmed regarde les nuages dans le ciel, les nuages qui flottent là-bas, les merveilleux nuages.
Ahmed aime la poésie, pourtant il n'en connaît plus que des bribes qui lui reviennent fugitivement telles des bulles à la surface de l'âme. Souvent les vers arrivent seuls, sans auteur ni titre. Ici, ça lui évoque Baudelaire, une histoire d'étranger, de liberté, un truc anglais. C'était son auteur préféré, Baudelaire, à l'époque, avec Van Gogh et Artaud. Et puis il y avait eu Debord. Et puis il avait cessé de lire. Enfin, presque. Aujourd'hui il achète Le Parisien les matins où il descend. Et quantité de polars industriels anglo-américains : Connely, Cornwell, Cobain. À de rares exceptions près, les noms se mélangent dans sa tête, tant il a le sentiment de lire le même roman. Et c'est cela qu'il recherche. S'oublier en absorbant l'entièreté du monde dans un récit ininterrompu écrit par d'autres.
Il se fournit à la librairie d'occasion de la rue Petit. Une minuscule boutique du temps d'avant qui a étrangement survécu entre le complexe scolaire loubavitch, la salle de prière salafiste et l'église évangélique. Peut-être parce que M. Paul, un vieil anarchiste arménien, ne rentre dans aucune des catégories d'illuminés qui se partagent désormais le quartier. Et puis il vend sa littérature profane au poids, ce qui le rapproche plus de l'épicier que du dealer de livres shaïtaniques. De temps en temps, le libraire ajoute un ouvrage à la pile sans rien dire. Ellroy, Tosches, un Manchette inédit Ahmed cligne très légèrement des yeux. Reconnaissant envers son fournisseur de ne pas le laisser sombrer totalement. De ces auteurs, il se souvient.
Aujourd'hui il n'est pas descendu. Il lui reste une baguette au congélateur, un paquet de tortellini au jambon, une quiche saumon-épinards, assez de beurre pour trois tartines, un reste de confiture de fraises confectionnée par la voisine du dessus, Laura, qu'il aurait désirée s'il savait encore désirer, un pack d'Évian, une plaquette de chocolat noir aux noisettes Ivoria, cinq Tsingtao soixante-six centilitres, une demi-bouteille de William Lawson soixante-quinze centilitres, trois bouteilles de vin - rouge, rosé, monbazillac - et six canettes de bière sans alcool Almaza, lâchement abandonnées par son cousin Mohamed avant son départ pour Bordeaux six mois plus tôt. Sans oublier un paquet de Tue, la moitié d'une saucisse sèche, les deux tiers d'un valençay, sept crackers, un demi-litre de lait écrémé et un fond de muesli Leader Price. Plus, bien sûr, la boîte de thé vert Gunpowder et celle de Malongo percolatore. De quoi tenir jusqu'à l'épuisement des trois kilos sept de bouquins achetés la veille à M. Paul.
Revue de presse :
Avec son premier roman policier, Karim Miské fait une entrée remarquée dans le genre. L'avenir lui appartient...
Plus le récit avance, plus Karim Miské maîtrise le tempo et trouve sa propre voix. Celle d'un auteur qui a suffisamment confiance dans le genre et dans son propre talent pour, dès son premier roman, oser des embardées et des ruptures de ton. Un auteur est né. Et c'est une bonne nouvelle. Dès qu'il se mettra à courir, il ne sera pas facile à rattraper. (Eric Libiot - L'Express, mars 2012 )
Gorgé de sensualité, d'odeurs et de musique, pétri d'onirisme, de légendes et de fantasmes, empreint d'humour, Arab Jazz parvient à esquisser un véritable univers, carrefour cosmopolite et polyphonique de la société. A susciter aussi de subtils personnages, entre fêlures et légèreté, ambivalences et détermination, à la manière des limiers de Fred Vargas. C'est dire si l'on attend de retrouver les inhibitions flottantes de Jean, les cercles saugrenus de Mercator, les fulgurances affranchies de Rachel... et les rêves d'Ahmed. (Télérama du 7 juin 2012 )
Ahmed doit se disculper du meurtre de sa voisine. Une enquête originale dans le XIXe arrondissement de Paris...
Arab Jazz est un hommage à James Ellroy (White Jazz) mais ne se perd pas dans les références aux maîtres. Karim Miské, excellent documentariste pour la télévision, sait chercher l'information, décrire un univers, créer une ambiance et mettre en scène un premier roman noir sur la manipulation des pouvoirs - qu'ils soient politiques ou religieux - avec une jolie dose de sensualité, ce qui ne gâte rien. (Christine Ferniot - Lire, juin 2012 )
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