Extrait :
NICOLA FULLER D'AFRIQUE CENTRALE APPREND À PILOTER UN AVION
Mkushi, Zambie, 1986 environ
Du plus loin qu'il nous en souvienne, notre maman - ou Nicola Fuller d'Afrique centrale, comme elle aimait à se présenter à l'occasion - a toujours désiré avoir un écrivain dans la famille car non seulement elle aime les livres et a toujours souhaité y apparaître (de la même façon qu'elle apprécie les grands chapeaux coûteux, et a du plaisir à se montrer avec), mais elle a toujours voulu vivre une existence follement romantique exigeant d'être transcrite par un témoin assez malléable.
«Au moins elle ne t'a pas lu Shakespeare quand tu étais dans son ventre, me dit ma soeur. Je pense que c'est pour ça que j'ai des lésions cérébrales.
- Tu n'as pas de lésions cérébrales.
- Maman affirme que si.
- À ta place, je ne l'écouterais pas. Tu sais comment elle est.
- Oui, répond Vanessa.
- Par exemple, dis-je, elle prétend depuis quelque temps que j'ai dû être échangée à ma naissance.
- Ah oui ?» Vanessa incline la tête dans tous les sens pour mieux voir mon visage. «Tourne-toi pour que je jette un coup d'oeil à ton nez de l'autre côté.
- Ça suffit.»
Je cache mon nez.
«C'est toi qui as mis le sujet sur le tapis, reprend Vanessa, allumant une cigarette. Tu n'aurais jamais dû écrire cet Horrible Livre sur elle.»
Je dénombre les erreurs que commet Vanessa.
«Pour la millionième fois, il n'est pas horrible et il ne parle pas d'elle.»
Elle exhale placidement la fumée vers le ciel.
«Ce n'est pas ce que maman dit. De toute manière je ne peux pas le savoir. Je ne l'ai pas lu. Je ne le lirai pas. Je ne peux pas. J'ai des lésions cérébrales. Demande à maman.»
Nous sommes assises devant la maison en pierre de Vanessa, près de la ville de Kafue. Elle a eu la sagesse de devenir une artiste indéchiffrable - le travail sur le tissu, l'art graphique et les toiles tropicales exubérantes étant l'expression d'une sorte de chaos nébuleux - aussi, personne ne peut lui reprocher quoi que ce soit. Et de toute manière, quoi qu'il arrive, Vanessa se comporte comme si tout devait se résoudre un jour ou l'autre, tant que personne ne panique. Par exemple, un arbre pousse au milieu du toit de chaume de sa salle de bains - très romantique et pittoresque mais piètre protection contre la pluie et les reptiles. Vanessa dit d'un ton vague :
«Oh, garde tes chaussures et regarde bien autour de toi avant de t'asseoir, et il ne t'arrivera rien.»
Présentation de l'éditeur :
Née sur l’île écossaise de Skye, la mère d’Alexandra Fuller, mieux connue sous le nom de « Nicola Fuller d’Afrique centrale », a grandi au Kenya dans les années cinquante avant d’épouser un Anglais fringant. Ils s’installent dans leur propre ferme, d’abord au Kenya puis en Rhodésie – l’actuel Zimbabwe – où l’auteur, Bobo, et sa sœur ont grandi, avant d’atterrir en Zambie. Nicola, à la fois drôle, originale et spontanée, reste inébranlable dans le maintien de ses valeurs familiales, la fierté de son sang écossais, et sa passion pour la terre et les animaux. Le parcours de la famille Fuller, déterminée à rester en Afrique malgré la guerre civile, est fait de survie, de folie, de loyauté et de pardon. Elle trouvera la sérénité sous son « arbre de l’oubli ».
Le deuxième volet bouleversant des mémoires de l’auteur.
Récit intime, évocation historique, désopilant et grave, L’Arbre de l’oubli est un peu tout cela à la fois. Nils C. Ahl, Le Monde des livres.
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