Extrait :
Obliqua
Nous pourrions commencer par desertorum, nom vulgaire du mallee à crochets. Ses feuilles s'effilent jusqu'à former un fin crochet et il se rencontre en général dans les régions semi-désertiques de l'intérieur.
Mais desertorum (pour commencer) n'est jamais qu'une espèce d'eucalyptus parmi des centaines d'autres ; il n'y a pas de chiffre précis. Et, de toute façon, le terme même de desert-or-um ramène la discussion sur une version défraîchie du paysage national et, de là, en plus ou moins droite ligne, sur le caractère national lui-même, ces multiples épaisseurs tapissant l'âme et le larynx qui, paraît-il, trouvent leurs origines dans le bush, et dont les vertus poétiques (vous imaginez ?) s'appuient sur une vie éprouvée par les sécheresses, les feux de brousse, les moutons puants, et cetera ; sans oublier l'isolement, les femmes éreintées et déformées, le langage grossier, l'horizon toujours vaste et les mouches.
C'est à ce contexte qu'on doit toutes ces histoires extrêmement arides (couleur terre de Sienne - pourrions-nous dire ?) qui se racontent autour d'un feu ou au fil d'une page. Tout ce qui jadis s'avérait intéressant un moment, mais qui n'a quasiment aucun rapport avec notre affaire.
En outre, l'Eucalyptus desertorum a quelque chose de peu attrayant, de malsain même. Il ressemble plus à un arbuste qu'à un arbre ; il n'a pratiquement pas de tronc : juste quelques tiges qui émergent de la terre, rabougries et l'air démangeantes.
Nous pourrions tout aussi bien nous pencher sur l'Eucalyptus pulverulenta, un sujet rarement observé au nom dynamique et aux curieuses feuilles en forme de coeur qu'on ne rencontre que sur deux étroites saillies des Blue Mountains. Et diversifolia ou transconlinentalis ? Eux, au moins, sont synonymes de grands et riches desseins. Même chose pour E. globulus, généralement employé comme brise-vent. De la véranda de devant chez Holland, à deux heures de l'après-midi, on pouvait en contempler un spécimen esseulé qui, épingle en filigrane vert grisâtre élégamment fichée dans un feutre de femme, donnait de la stabilité à la perspective décolorée et oscillante.
Chaque eucalyptus est intéressant pour des raisons qui lui sont propres. Certains eucalyptus évoquent un univers distinctement féminin (veste jaune, rose-de-l'Ouest, gommier pleureur). E. maidenii a fourni une ombre photogénique aux stars hollywoodiennes. Jarrah est le bois que tout le monde prétend aimer. Eucalyptus camaldulensis ? Nous l'appelons le gommier rouge de rivière. Trop viril, d'une virilité trop autoritaire ; et, en plus, couvert de verrues et de furoncles à la papi. Quant au gommier spectre (E. papuana), il y a des gens qui soutiennent, la gorge nouée, que c'est le plus bel arbre de la planète, ce qui expliquerait qu'on nous l'a flanqué à toutes les sauces sur tous les calendriers, timbres et torchons d'Australie. Holland en avait un, à l'extrémité nord-est de la propriété, côté ville, qui, jalon de géomètre devenu fou, agitait ses bras blancs dans la pénombre.
Présentation de l'éditeur :
Il était une fois, dans les terres perdues du sud de l'Australie, un homme qui plantait des eucalyptus, jusqu'à posséder toutes les variétés de la création. Sans répit, Holland se consacre à son étrange folie. Voici les ingrédients de ce conte moderne : une forêt (d'eucalyptus), un père, tel un roi solitaire, une princesse, sa fille Ellen. Et une décision irrévocable : sa fille se mariera avec l'homme, qui, comme lui, sera capable de reconnaître et de nommer chaque espèce d'eucalyptus. Les prétendants se bousculent. Le roi perd patience. La princesse se morfond. Jusqu'au moment où... Murray Bail, tel un botaniste scrupuleux, mais aussi insidieusement ironique, nous raconte les métamorphoses d'un père. Et celle d'une femme en devenir.
«Dans ce récit tout en retenue, les sentiments affleurent avec une indicible spontanéité entraînant le lecteur dans une rêverie intime, où les mots sont autant d'arbres à l'ombre desquels il fait bon s'arrêter. D'une émouvante simplicité.»
G. T., Avantages
Murray Bail est né à Adélaïde, en Australie, en 1941, et a vécu à Bombay, puis à Londres. Il est l'auteur de recueils de nouvelles et de romans, dont Eucalyptus, pour lesquels il a reçu plusieurs prix. Murray Bail vit aujourd'hui à Sydney.
Traduit de l'anglais par Michèle Albaret-Maatsch
"Domaine étranger" dirigé par Jean-Claude Zylberstein
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